Espaces totalement inépuisables

Dans un commentaire, Math O’Man demandait comment on démontre que [0,1] n’admet pas de partition non triviale en segments [a,b] avec a<b. Voici une solution que j'espère correcte.

Soit X=[0,1]/\sim une telle partition. L'ensemble X est évidemment (au plus) dénombrable. On munit X de la topologie quotient. Grâce à la surjection continue p:[0,1]\to X, on peut affirmer que X est quasi-compact (i.e. «compact mais peut-être pas séparé a priori»). En fait X est séparé car il est ordonnable au sens où il existe une relation d’ordre total (je vous laisse deviner laquelle&nbsp!) sur X dont la topologie associée coïncide (je devrais écrire la vérification…) en fait elle ne coïncide pas, cette preuve est corrigée dans les commentaires avec la topologie de X. J’utilise ici le fait que la topologie associée à une relation d’ordre total (celle qui est engendrée par les intervalles ouverts) est toujours séparée. Ainsi X est compact, donc localement compact, et donc de Baire. De plus X est connexe, grâce à la surjection p:[0,1]\to X. Or on a le lemme évident :

Lemme. Un espace de Baire séparé, dénombrable et connexe a au plus un point.

En effet, chaque singleton \{x\} est fermé (car l’espace est séparé). Si l’espace a au moins deux points, chaque singleton \{x\} est d’intérieur vide (sinon \{x\} est un ouvert fermé non trivial ce qui contredit la connexité), donc l’espace est une réunion dénombrable de fermés d’intérieur vide, c’est absurde puisqu’il est de Baire.

Conclusion X est un singleton, la partition est triviale, c.q.f.d. Il y a sûrement une preuve dans un jargon moins pompeux, avec seulement des suites et de la compacité par exemple… Généralisation : on peut montrer que le plan \mathbf R^2 n’est pas une réunion de disques fermés disjoints de rayons strictement positifs. Mais il y a un énoncé beaucoup plus général :

Théorème. Aucun espace localement compact, connexe et localement connexe, n’est la réunion disjointe d’une suite finie ou infinie d’au moins deux fermés non vides.

C’est un exercice que l’on trouve dans le traité de topologie de Bourbaki au sujet des espaces topologiques dits totalement inépuisables ! Donc, si l’on vous demande de paver un carré (plein) de façon non triviale avec des rectangles, des triangles, des cercles disques, etc., tous pleins et fermés, vous savez que ce n’est pas possible car le carré est localement compact, connexe et localement connexe.

Tout cela peut faire penser à un certain sujet d’agrégation de mathématiques (je ne sais plus l’année) où l’on montrait que le plan \mathbf R^2 n’est pas une réunion disjointes de cercles, mais que l’espace \mathbf R^3 en est une ! Bien sûr, rien de ce qui précède ne s’applique pour ces problèmes de cercles car les partitions considérées ne sont pas dénombrables.

7 réflexions au sujet de « Espaces totalement inépuisables »

  1. Très clair, merci !

    Quand tu écris « des triangles, des cercles, etc., tous pleins et fermés », veux-tu dire par « cercles pleins » que ce sont des disques ?

  2. Je vais faire les vérifications qui manquent à l’article. Dans la suite, si (E,\le) est un ensemble totalement ordonné, il est toujours muni de la topologie engendrée par les intervalles ouverts (en fait les ouverts sont les unions d’intervalles ouverts). On dit qu’une partie de E est convexe si, lorsqu’elle contient deux points, elle contient aussi l’intervalle qui a ces deux points pour extrémités.

    Proposition 1. Un ensemble totalement ordonné (E,\le) est séparé.

    Preuve. Soient a<b deux points distincts de E. S'il existe c\in ]a,b[ alors les ouverts ]\leftarrow,c[ et ]c,\rightarrow[ séparent a et b. Sinon, les ouverts ]\leftarrow,b[ et ]a,\rightarrow[ séparent a et b ♦

    Soit (E,\le) un ensemble totalement ordonné et soit \sim une relation d'équivalence sur E telle que les classes d'équivalence soient convexes. Les ensembles A\subset E et B\subset E étant deux classes d'équivalence, on pose A\le B s'il existe a\in A et b\in B tels que a\le b.

    Proposition 2. La relation \le définie sur le quotient E/\sim est une relation d’ordre total.

    Preuve. Sûrement triviale… pas envie de vérifier celle-là ♦

    Proposition 3. Sur le quotient E/\sim, la topologie quotient coïncide avec la topologie associée à la relation d’ordre total.

    Preuve. à venir… mais je me demande si en écrivant la preuve, je ne vais pas trouver un contre-exemple qui montrera que j’ai raconté n’importe quoi 😐
    En effet, cette proposition 3 est fausse et il y a un contre-exemple immédiat : [0,1/2[ et [1/2,1] forment une partition de [0,1]. L’ensemble quotient associé, muni de la topologie quotient, est grossier, donc pas séparé, et donc la topologie quotient n’est pas celle associée à la relation d’ordre évidente (puisque celle-ci est séparée). Donc, ma démonstration du fait que l’espace quotient est séparé dans l’article, est fausse. Mais je peux donner une démonstration correcte.

    Proposition 4. Soit \sim une relation d’équivalence sur [0,1] telle que les classes d’équivalence soient des segments non réduits à un point et telle qu’il existe au moins deux classes d’équivalences. Alors l’espace quotient [0,1]/\sim est séparé.

    Preuve. Soient A et B deux points du quotient. On écrit A=[a,b] et B=[c,d] avec b<c. Il existe un nombre entre b et c, et ce nombre appartient à une certaine classe d'équivalence [\alpha,\beta]. Posons U=[0,\alpha[ et V=]\beta,1], ce sont des ouverts de [0,1] qui sont des unions de classes d'équivalences donc les images de U et V par la surjection canonique sont des ouverts de l'espace quotient (en effet U=\pi^{-1}(\pi(U)) donc \pi(U) est ouvert…) et ces deux ouverts séparent A et B.

  3. Soit Z l’ensemble des extrémités de ces intervalles privé de {0,1}. Alors Z est un espace métrique compact parfait (càd que tout point de Z est un point d’accumulation) donc Z est non dénombrable. Contradiction.

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